Soixante-douze. Pas un de moins, pas un de plus. Une logique mystérieuse qui échappe à ceux qui cherchent des réponses simples. Six fois douze. Comme une formule ancienne, un murmure à déchiffrer. Six jours de labeur. Douze apôtres. Et ce septième jour, nombre de la grâce divine et de l’accomplissement. Le jour où tout s’accomplit et recommence.
Le Christ les choisit. Non pour leur mérite, mais par pure grâce. Des instruments imparfaits et fragiles, mais rendus capables par l’Esprit Saint. Leurs failles étaient des fenêtres pour la Lumière, leurs cicatrices, des témoins de la Miséricorde.
Il leur confia une mission immense, presque insoutenable : Moissonner les âmes. Non par leur propre force, mais par la puissance de l’Évangile.
Ils partirent ainsi. Dépouillés de tout, avec pour seul bagage la foi. Pas une foi triomphante, mais une lumière vacillante, tremblante parfois, comme une bougie qu’on protège du vent. Ils étaient des agneaux au milieu des loups, vulnérables, leur seule richesse nichée au creux de leur poitrine : cette certitude que l’amour pouvait sauver.
Aujourd’hui, rien n’a changé. Et pourtant, tout est différent.
La moisson est toujours immense. Les âmes assoiffées de sens et de lumière sont innombrables. Mais le monde n’est plus le même. Le bruit a tout envahi. Le vacarme des écrans, des chiffres, des attentes. Nous vivons dans un labyrinthe de solitudes connectées, où les cris de l’âme se perdent.
La fraternité semble un souvenir lointain, une image floue d’un autre temps. L’individualisme a creusé des fossés si profonds que les regards ne se croisent quasiment plus, que les mains ne se tendent presque plus jamais. Et pourtant, les âmes en souffrance sont belle et bien là. Elles cherchent, elles espèrent, même si elles n’osent plus le dire.
Ceux qui pourraient parler, ceux qui osent encore porter cette lumière vacillante, sont si rares. Trop rares.
Il faudrait peut-être recommencer.
Sortir nous aussi des synagogues, parcourir les chemins poussiéreux, prendre soin de l’autre, fut-il si différent…
Prendre soin. Pas seulement de ce qui saigne à la surface, mais de ce qui vacille à l’intérieur. Guérir, ce n’est pas recoller les morceaux, c’est parfois simplement être là. Présent. Entier. C’est croire qu’un geste, un regard, une parole peuvent planter un drapeau blanc dans le chaos. Rien de spectaculaire, mais peut-être tout. Une manière de dire : « Je te vois. Tu existes. »
Annoncer que le règne de Dieu s’approche, ce n’est pas imposer une vérité. C’est murmurer, doucement, que quelque chose est encore possible. Que chaque instant peut être une chance. Une renaissance.
Mais avant tout, il faut oser.
Se défaire. De tout. De ces masques, de ces cuirasses. De ces murs que nous avons érigés autour de nous, croyant qu’ils nous protégeraient. Et offrir ce qu’il reste. Ce qui compte. Ce qui n’a jamais cessé d’être là, cette chose nue, vulnérable : Notre âme, la seule chose capable d’atteindre l’autre. Ce n’est pas simple. Rien n’est simple. Aimer sans attendre. Donner sans rien exiger. Aimer comme un saut dans le vide, sans filet, sans garantie.
Et puis comprendre.
La joie n’est pas dans les triomphes. Pas dans les victoires éclatantes ou les réussites affichées. Elle est ailleurs. Elle se cache dans l’infime, dans l’instant où quelque chose bascule, où une âme s’ouvre, où un sourire vient éclairer un visage baigné de larmes, où une douleur s’apaise un peu.
C’est là. Toujours.
Dans chaque geste, chaque regard, chaque silence.