Je songe souvent à Pilate, ce procurateur romain figé dans son scepticisme, impassible devant le Christ. Il me fait l’effet d’ un aveugle devant un arc-en-ciel ; il est face à une réalité éblouissante qu’il ne peut percevoir. Il veut des preuves, des certitudes palpables, comptable d’un monde qui se voit, d’un monde que l’on touche. Il se retrouve devant un Royaume que ses yeux refusent d’embrasser. Il incarne à mes yeux l’homme moderne, qui veut tout maîtriser, tout comprendre.
Je le vois bien, Pilate, et il nous ressemble tellement… Nous aussi nous recherchons des preuves là où il n’y a que mystère. Nous exigeons des réponses claires, des certitudes rassurantes, là où il faudrait simplement ouvrir notre cœur à la grâce divine.
Certains jours, quand les tempêtes du monde soufflent violemment, Pilate se réveille en nous et ses questions s’élèvent comme une brume : « Qu’est-ce que la Vérité ? Comment croire malgré tout ? Comment percevoir ce qui se dérobent à nos sens ? » Ce sont des questions anciennes, immémoriales, qui nous hantent encore et encore, surtout dans les heures de doute.
Pourtant, là où Pilate s’est arrêté dans la nuit de son doute, j’ai appris, moi, à avancer à tâtons, à marcher dans l’obscurité avec la confiance en Jésus pour seule étoile, laissant l’immense Miséricorde divine me transformer peu à peu, porté par la grâce qui opère en silence.
La foi, je ne l’ai pas reçue d’un coup. Elle est venue comme le printemps : doucement, comme la première pousse verte sur un arbre que l’on croyait mort. Elle a grandi dans l’ombre de mes illusions et de mes certitudes, là où tout semblait stérile, comme ces petites fleurs qui surgissent entre deux dalles d’asphalte. Parfois, elle illumine tout, parfois elle n’est qu’un fil ténu, prêt à se rompre, mais elle est toujours là : humble, discrète, tenace, nourrie par l’eau vive des sacrements de l’Église.
En Pilate, je nous vois tous, pauvres chercheurs de vérité, égarés dans la boue du monde. Mais là où il hésite et recule, nous avons la grâce insigne d’être portés par une foi certes vacillante mais persistante, soutenus par une Église qui, avec ses imperfections, respire au rythme de nos pas hésitants, partageant nos doutes, nos joies et nos peines et nous guide vers la Vérité incarnée en Jésus-Christ. Dans cette quête, elle se tient à nos côtés et nous offre la richesse de sa tradition, la sagesse de ses enseignements, et la grâce de ses sacrements. Elle nous rappelle que notre foi, bien que personnelle, s’inscrit dans une communauté de croyants qui, depuis deux millénaires, cherche à vivre et à témoigner de l’amour du Christ.
Alors, contrairement à Pilate, osons foncer les yeux fermés et peut-être qu’au bout du chemin, nous découvrirons que la Vérité était là depuis le commencement, comme une présence cachée et patiente, attendant que nous apprenions à la reconnaître. Pas une énigme à résoudre, ni une évidence à saisir, mais une lumière douce qui éclaire et transfigure tout. Même nos doutes, même nos peurs, même ces questions sans réponse qui, finalement, auront donné à notre vie toute sa profondeur, nous conduisant à une relation plus intime avec notre Sauveur.